Jean Liedloff (1926 – 2011) est l’auteure du Concept du continuum, à la recherche du bonheur perdu (The Continuum Concept, In Search of Happiness Lost), un ouvrage publié en France par les éditions Ambre, et une véritable révélation pour de nombreux parents dans le monde.
Voici un deuxième extrait de l’interview que j’ai pu réaliser d’elle en 2008, le premier étant ici.
Le sommeil partagé est souvent présenté comme « l’erreur à ne surtout pas commettre ». Que répondez-vous ?
Jean Liedloff : Les gens ont-ils réfléchi au lieu où dormaient les bébés avant les dernières décennies ? Pourquoi pensent-ils que les bébés pleurent ? C’est la nature qui a prévu que les bébés pleurent, comment peut-on argumenter contre cela ? On parle alors des risques d’étouffer le bébé si l’on dort avec lui. J’ai dormi pendant un temps avec un bébé singe qui ne pesait pas plus d’un kilo. Si je le dérangeais en bougeant dans mon sommeil, il bougeait à son tour et nous trouvions des positions qui nous convenaient à tous deux sans vraiment nous réveiller. Les bébés, naturellement, peuvent dormir près d’adultes et ils savent d’ailleurs téter en dormant. Cela peut être si agréable pour la mère, comme pour l’enfant, ces tétées ensommeillées qui ne réveillent pas vraiment. Il est arrivé des accidents où un bébé a été écrasé par un parent ivre ou drogué. Il ne faut absolument pas en conclure qu’il ne faut pas dormir avec les bébés, mais tout simplement qu’il ne faut pas boire ou se droguer lorsque l’on dort avec un bébé ! Pourquoi les gens pensent-il que les bébés pleurent tant ? Quel est le sous-titre dans ce cas ? Les bébés demandent de l’aide, nous n’avons pas besoin de consulter un dictionnaire pour comprendre cela. Par conséquent, nous savons ce qu’ils souhaitent et, de plus, il s’agit de petits êtres que nous aimons. Même lorsqu’il s’agit d’un chaton par exemple, s’il miaule pour demander une présence, nous avons envie de lui répondre. Cela n’a aucun sens d’argumenter contre cela.
Que peuvent bien avoir dans la tête ces soit-disant experts qui donnent pour consignes de ne pas prendre le bébé qui pleure, de le laisser dans son petit lit ? C’est insensé qu’ils puissent conseiller de ne pas se « laisser prendre au piège » de ces tout-petits. C’est la voix de la nature, qui signale quelque chose que nous comprenons de manière instinctive. Que peut-il bien nous passer par la tête si nous refusons de l’entendre ? Ne pas prendre un bébé qui pleure, c’est lui dire « je ne me soucie pas de toi » ou « tu n’en vaux pas la peine » ou même « tu n’es pas assez digne d’amour ». Accepteriez-vous de me prendre comme expert ? Non pas parce que je suis Jean Liedloff, mais parce que j’ai vu le concept du continuum fonctionner. C’est pour cela que je suis revenue de la jungle. J’avais réalisé, en voyant certains faire ce qui est juste, qu’autour de moi, les gens faisaient une erreur effroyable. On me dit souvent que je devrais me taire parce que je n’ai pas d’enfant. C’est vrai, hélas, mais j’ai vu ces enfants qui grandissent en étant toujours heureux et qui sont plein d’assurance. Même leur corps, leur musculature montre à quel point ils sont détendus. Ils rient beaucoup, y compris parvenus à l’âge adulte. Mais jamais ils ne laisseraient un bébé pleurer ou dormir seul.
Comment passer outre sa propre expérience, lorsque l’on a été élevé d’une manière totalement différente ?
Jean Liedloff : Il est important alors de se dire : voici ce qui m’a été fait et je ne répéterai pas les mêmes erreurs. Il faut éviter de perpétuer ces mêmes erreurs. J’ai fait beaucoup de consultations sur ce thème : les adultes ont besoin de comprendre qu’ils n’ont rien fait de mal pour qu’on les laisse pleurer. Ils sont victimes d’une « psychopathologie pandémique » de notre époque : ils sont « normaux ». Dans les pays « civilisés », nous connaissons tous ce sentiment de ne pas être assez bons, de ne pas avoir assez de valeur. C’est dû au fait que nos valeurs et l’autorité naturelle viennent de nos parents. Si l’on ne se sent pas à la hauteur, toujours trop lent ou trop rapide, pas assez joli ou intelligent, etc. alors on ne peut pas prendre de décisions. Si on arrive à comprendre et à réaliser qu’il n’y a rien qui cloche chez nous et que nous avons été victimes de nos parents, eux-mêmes ayant été victimes des leurs, etc. et de la culture générale, alors on peut être beaucoup gentil avec tout le monde. Il n’est pas possible de guérir quelqu’un de son passé, mais on peut l’aider à comprendre.
A suivre…
(Photo transmise par Jean Liedloff)